Évaluations fondées sur des critères comportementaux subjectifs : rappel de la Cour de cassation sur l’exigence d’objectivité
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Les faits et la procédure
Un syndicat a assigné une société spécialisée dans la fabrication de lait devant un tribunal de grande instance afin de faire interdire un dispositif d’évaluation des salariés intitulé « entretien de développement individuel », mis en place à compter de janvier 2017, ainsi que d’annuler les entretiens déjà réalisés.
Ce dispositif d’évaluation comportait notamment une appréciation des compétences comportementales des salariés, fondée sur des notions telles que « optimisme », « honnêteté » ou encore « bon sens »
Par jugement du 28 mai 2018, le tribunal de grande instance a déclaré illicite la procédure d’entretien de développement individuel (EDI) mise en place au début de l’année 2017, puis à nouveau à la fin de cette même année après modification. Il a interdit à la société d’utiliser ce dispositif à compter de janvier 2017, tout en rejetant la demande du syndicat visant à annuler les évaluations déjà réalisées.
La société a alors interjeté appel le 26 juin 2018 et, le 11 octobre 2019, la cour d’appel de RENNES a fait droit à ses demandes en déclarant irrecevable l’action du syndicat.
Le syndicat s’est donc pourvu en cassation et, par un arrêt du 5 avril 2021, la Cour de cassation a censuré l’intégralité de l’arrêt de la cour d’appel de RENNES du 11 octobre 2019, renvoyant l’affaire devant la même cour d’appel autrement composée. La société a de nouveau interjeté appel le 17 juin 2021 devant la cour d’appel de RENNES en tant que cour de renvoi.
Par une arrêt du 2 juin 2022, la cour d’appel de Rennes a confirmé le jugement en ce qu’il a considéré comme illicite la procédure d'évaluation des salariés mise en œuvre au sein de la société.
Elle a rappelé que les critères retenus dans le cadre du dispositif d’évaluation devaient être objectifs et transparents.
Premièrement, la cour a jugé que la partie de l’évaluation portant sur les compétences comportementales n’était ni secondaire ni accessoire, et que la multitude de critères comportementaux, sans pondération claire, pouvait remettre en cause l’objectivité et l’impartialité du système d’évaluation.
Deuxièmement, elle a considéré que les notions d’« optimisme », d’« honnêteté » et de « bon sens » présentes au sein du dispositif d’évaluation apparaissaient trop vagues et imprécises pour établir un lien direct, suffisant et nécessaire avec l’activité des salariés en vue d’apprécier leurs compétences professionnelles.
Troisièmement, elles conduisent, en outre, à une approche trop subjective de la part de l’évaluateur, qui peut manquer d’objectivité et de transparence, s’éloignant ainsi de la finalité première du dispositif consistant à mesurer justement les aptitudes professionnelles des collaborateurs de l’entreprise.
Pour ces raisons, la cour a considéré que ces éléments d’information recueillis ne pouvaient constituer des critères pertinents au regard de la finalité poursuivie, à savoir l’évaluation des compétences professionnelles des salariés.
Le société s’est, par conséquent, pourvue en cassation.
La décision
Il résulte des articles L. 1121-1, L. 1222-2 et L. 1222-3 du code du travail que si l'employeur tient de son pouvoir de direction né du contrat de travail le droit d'évaluer le travail de ses salariés, la méthode d'évaluation des salariés qu'il retient doit reposer sur des critères précis, objectifs et pertinents au regard de la finalité poursuivie
Par son arrêt du 15 octobre 2025 (Cass., Soc., 15 octobre 2025, n° 22-20.716), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi et confirmé l’arrêt d’appel, reprenant pour son compte l’argumentation des juges du fond. Elle a rappelé, en substance, que les critères d’évaluation doivent être précis, objectifs et pertinents pour apprécier les compétences professionnelles des salariés ; à défaut, la procédure d’évaluation est illicite et ne peut être mise en œuvre.
L’apport de la décision
Le principe selon lequel « l’employeur tient de son pouvoir de direction né du contrat de travail le droit d’évaluer le travail de ses salariés » n’est pas nouveau (Cass., soc,. 10 juillet 2002, n°00-42.368). Pour autant, la décision du 15 octobre 2025 met en lumière la frontière subtile entre l’appréciation des compétences professionnelles et l’ingérence dans la personnalité du salarié, tout en précisant les critères qui ne peuvent légitimement être pris en compte dans cette évaluation.
À titre d’exemple, il a déjà été jugé que le critère « agir avec courage », en tant que critère comportemental, contrevenait aux exigences légales (Cour d’appel de Toulouse, 21 septembre 2011, n°11/00604).
La cour souligne sans ambiguïté que l’« optimisme », l’« honnêteté » ou le « bon sens » des salariés ne constituent pas davantage des critères d’évaluation objectifs utilisées sous les items « engagement » et « avec simplicité », dont la connotation moralisatrice rejaillissait sur la sphère personnelle des individus, apparaissaient comme trop vagues et imprécises pour établir un lien direct, suffisant et nécessaire avec l'activité des salariés en vue de l'appréciation de leurs compétences au travail, outre qu'elles conduisaient à une approche trop subjective de la part de l'évaluateur pour manquer d'objectivité et de transparence en s'éloignant de la finalité première qui est la juste mesure des aptitudes professionnelles des collaborateurs de l'entreprise.
Il ressort également de la décision que, dès lors que la partie du dispositif qui ne repose pas sur des critères objectifs, transparents et pertinents ne peut être considérée comme secondaire ou accessoire à la procédure d’évaluation, c’est l’ensemble de cette procédure qui se trouve entaché et doit être déclaré illicite.
À l’inverse, il en ressort que lorsque seule une fraction limitée du dispositif d’évaluation s’appuie sur des éléments subjectifs — en particulier en matière d’appréciation comportementale — tandis que le reste de la procédure demeure fondé sur des critères objectifs, seule cette composante subjective pourra être déclarée illicite en raison de l’absence de critères pertinents.
Ainsi, le dispositif d’évaluation doit reposer sur des éléments quantifiables et étroitement liés à la performance professionnelle. En effet, des critères rigoureux garantissent à la fois l’équité de la procédure et la sécurité juridique de l’entreprise. Faute de respect des critères, l’entreprise pourrait se voir interdire l’usage du dispositif et voir la confiance de ses salariés durablement compromise.
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