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Les faits
Une salariée est engagée le 3 janvier 2012 par la société CGI, pour un poste de coordinatrice pédagogique. Elle travaille 35 heures par semaine et sa rémunération équivaut à 2200 euros. En juillet 2013, la société est absorbée par la société ESGCV. La salariée est licenciée le 28 juin 2016 pour insuffisance professionnelle, non-respect de sa hiérarchie et des instructions et mésentente avec la direction.
La salariée saisit la juridiction prud’homale de Créteil le 21 juillet 2016 pour contester son licenciement et demander le paiement de diverses sommes. Par jugement du 3 décembre 2018, le conseil de prud’hommes de Créteil considère que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et déboute la salariée de ses demandes.
La salariée interjette appel de cette décision. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 8 septembre 2021 (19/00484), confirme la décision de première instance. Elle déboute la salariée de sa demande de paiement des heures supplémentaires et sommes afférentes en retenant que « la salariée ne démontre pas, à l’aide d’un décompte hebdomadaire étayé des éléments permettant de retenir son calcul, et qu’elle se contente de calculer une moyenne de trois heures supplémentaires effectuées par semaine, ce qui ne lui permet pas de remplir sa part probatoire. »
Elle considère que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et rejette sa demande de nullité du licenciement au motif que « constitue une cause réelle et sérieuse le fait d’avoir provoqué des mesures d’investigation sur le comportement du directeur de l’école dont elle avait dénoncé les agissements constitutifs selon elle de harcèlement moral » et ajoute que « les pièces pointent une hostilité de la salariée qui ne permettait pas le maintien de la relation contractuelle ».
La salariée forme un pourvoi en cassation. Elle soulève que le juge a méconnu l’objet du litige car elle ne s’est pas limitée à invoquer trois heures supplémentaires par semaine au titre des heures exceptionnelles mais a également fait valoir qu’elle effectuait cinq heures supplémentaires régulières depuis 2013. Elle soulève qu’aucun salarié ne peut être licencié pour avoir témoigné d’agissements de harcèlement moral ou les avoir relatés, sauf à constater la mauvaise foi du salarié, laquelle n’est pas établie par l’employeur et constatée par la Cour d’appel. Finalement, la salariée reproche le fait d’avoir été déboutée des dommages & intérêts pour préjudice moral, sans que la Cour d’Appel n’apporte de motif.
La solution de la Cour de cassation
Par un arrêt de la chambre sociale du 13 avril 2023 (n°21-23.753), la Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’Appel au visa des article 4 du code de procédure civile, articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail, et article 455 du code de procédure civile.
Elle considère que la cour d’appel a méconnu les termes du litige sur les heures supplémentaires car la salariée avait sollicité dans ses conclusions d’appel le paiement de cinq heures supplémentaires à partir de 2013 et une moyenne de trois heures supplémentaires « exceptionnelles » par semaine.
Elle juge recevable le moyen afférant au harcèlement moral, et rappelle que « le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ». La Cour d’appel devait caractériser la mauvaise foi de la salariée pour considérer le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse.
La portée de l’arrêt
Cette décision n’est pas inédite, il s’agit d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation.
En effet, la Cour de cassation a déjà admis en 2009 (Cass. soc., 10 mars 2009, n° 07-44.092), que la victime ou la personne qui relate des faits qui ne sont pas qualifiés de harcèlement est protégée contre le licenciement lorsque la mauvaise foi n’est pas démontrée. Elle avait précisé un mois plus tard que la mauvaise foi ne pouvait résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis (Cass. soc., 17 juin 2009, n° 07-44.629).
Cette solution permet de rappeler à l’employeur qu’il lui appartient d’établir et de prouver la mauvaise foi du salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral (voir en ce sens : Cass. soc., 10 juin 2015, n° 13-25.554).
Si la jurisprudence paraît très protectrice des salariés sur cette question, la Cour de cassation a parfois confirmer que la mauvaise foi du salarié était caractérisée et était constitutive d’une faute grave (voir en ce sens : Cass. soc., 6 juin 2012, n° 10-28.199 et Cass. soc., 7 févr. 2018, n° 16-19.594).
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