Licenciement nul pour violation du secret médical et harcèlement moral : arrêt pédagogique de la Cour de cassation sur les limites à ne pas franchir
- INVICTAE
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Faits et procédure
Une salariée a été engagée par une société en tant que vendeuse en juillet 2012.
Plusieurs salariées de la boutique où l’intéressée était affectée avaient dénoncé, tant auprès de la direction que lors d’une enquête diligentée par l’employeur à la suite de ce signalement, un harcèlement psychologique de la part de leurs deux supérieures hiérarchiques. Elles relataient des pressions pour démissionner, du chantage, un manque de respect et des insultes, et précisaient que de nombreux arrêts de travail avaient été prescrits à différentes salariées. La salariée avait participé à la dénonciation collective sans en être signataire. Elle imputait sa fausse couche au stress subi au travail.
Le rapport d’enquête reprenait les témoignages concordants de chacune des salariées, dont celui de l’intéressée, qui avait confirmé les propos tenus par ses collègues dans le courriel de dénonciation, en invoquant des faits la concernant personnellement ainsi que la dégradation de son état de santé.
S’estimant victime d’un harcèlement moral, la salariée, licenciée pour cause réelle et sérieuse le 31 août 2018, a saisi la juridiction prud’homale de demandes au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail, en invoquant d’une part un harcèlement moral, et d’autre part, l’annulation de son licenciement pour violation du droit au respect de la vie privée, son employeur ayant contacté son médecin traitant relativement à un arrêt qu’il soupçonnait avoir été antidaté.
La salariée avait en effet été victime d’un accident du travail, puis déclarée apte, mais avait transmis un arrêt de travail. La lettre de licenciement lui reprochait, après échange entre son employeur et son médecin traitant, d’avoir transmis un arrêt antidaté.
Une décision a été rendue en première instance.
L’employeur a nié la situation de harcèlement en soutenant qu’il n’existait pas de faits précis et répétés subis personnellement par la salariée. Concernant la violation de sa vie privée, il a indiqué avoir échangé téléphoniquement avec le médecin traitant de la salariée, mais a affirmé que le licenciement n’était pas lié à cet échange.
En cause d’appel, la cour d’appel de Paris, le 20 mars 2024 (RG n°21/05007), a ordonné la réintégration de la salariée et a condamné l’employeur à lui verser certaines sommes au titre du rappel de salaire au 31 janvier 2024 ainsi que les congés payés afférents.
La Cour a retenu que le harcèlement était caractérisé compte tenu du comportement managérial général des deux supérieures hiérarchiques, et qu’en entrant en relation avec le médecin traitant de la salariée, l’employeur avait méconnu son droit au respect de la vie privée.
Pourvoi en cassation
L’employeur s’est pourvu en cassation en invoquant deux moyens :
• Le premier contestait la caractérisation du harcèlement moral, estimant que la cour d’appel n’avait pas établi l’existence de faits précis et répétés ;
• Le second portait sur la violation du secret médical, l’employeur soutenant qu’il n’avait pas porté atteinte à la vie privée de la salariée en contactant son médecin traitant, et que le licenciement n’était pas fondé sur cet échange, même s’il y était fait référence.
Décision de la Cour de cassation
S’agissant du premier moyen La Cour rejette le pourvoi et confirme que les méthodes de gestion de l’entreprise avaient dégradé les conditions de travail de la salariée, ce qui constitue un harcèlement moral. Elle rappelle que l’employeur doit prouver que les agissements dénoncés ne sont pas constitutifs de harcèlement, ce qui n’a pas été démontré en l’espèce.
S’agissant du second moyen La Cour confirme qu’en contactant le médecin traitant de la salariée pour obtenir des informations la concernant, l’employeur a violé le secret médical, entraînant la nullité du licenciement. Ainsi, l’employeur ne peut, sans méconnaître une liberté fondamentale, contacter le médecin traitant d’un salarié pour obtenir et utiliser des informations couvertes par le secret médical. Le caractère illicite du motif de licenciement fondé, même en partie, sur des informations recueillies auprès du médecin traitant, en violation du secret médical, porte atteinte au respect de la vie privée et entraîne à lui seul la nullité du licenciement.
La Cour fait sienne la motivation de la cour d’appel en précisant que si l’employeur considérait qu’un arrêt de travail était sans motif ou irrégulier, il pouvait saisir la CPAM afin de solliciter un contrôle, ou s’adresser au médecin du travail pour toute question relative à l’état de santé du salarié. Il en résulte qu’aucun motif légitime ne justifiait le contact avec le médecin traitant.
L’employeur avait obtenu auprès du médecin traitant des renseignements relatifs à la pathologie de la salariée et à des propos tenus durant la consultation, puis avait utilisé ces informations pour lui reprocher d’avoir sollicité un certificat en rétorsion à l’avis d’aptitude du médecin du travail. La cour d’appel en a exactement déduit que le licenciement, dès lors fondé même en partie sur des informations couvertes par le secret médical, était nul.
Analyse de la Cour
Par son arrêt du 10 décembre 2025, n° 24-15.412, publié au bulletin, la Cour de cassation rappelle que des méthodes de gestion dégradant les conditions de travail des salariés constituent un harcèlement moral. Elle rappelle également que le secret médical protège l’ensemble des informations concernant un patient, et que toute tentative d’obtenir ces informations sans son consentement est illégale.
La Cour réaffirme en outre le droit des salariés au respect de leur vie privée, spécialement en ce qui concerne leur état de santé et leurs relations avec leur médecin.
On relèvera également que la justification avancée par l’employeur n’a même pas été examinée par la Cour de cassation. Aucune justification ne saurait être retenue : seules les voies légales de recours sont admises.
Il s’agit d’un arrêt pédagogique, dans lequel la Cour ne se contente pas d’exposer sa position mais rappelle la procédure que l’employeur aurait dû suivre, à savoir saisir la CPAM ou le médecin du travail, ce qui est assez rare pour être souligné.
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