Le prosélytisme en dehors du cadre professionnel ne saurait justifier un licenciement.
- mm6367
- 13 oct.
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Les faits et la procédure
Une salariée a été engagée en qualité d’agente de service intérieur, à compter du 1er septembre 2005, par une association spécialisée dans la protection de l’enfance.
Le 22 novembre 2016, la salariée a été sanctionnée par un avertissement pour avoir chanté des chants religieux et remis des bibles à de jeunes résidentes.
Le 19 juillet 2018, elle est cette fois-ci sanctionnée par une mise à pied disciplinaire de trois jours pour les mêmes faits.
Le 13 novembre 2018, la salariée est licenciée pour avoir remis une bible à une jeune alors que celle-ci était hospitalisée.
La salariée saisit le Conseil de prud’hommes pour obtenir la nullité de son licenciement et des sanctions disciplinaires antérieures, en soutenant que ces mesures, prises en raison de ses convictions religieuses, étaient discriminatoires.
Le 9 avril 2021, le Conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a débouté la salariée de l’ensemble de ses demandes.
La salariée a interjeté appel et, par une décision du 5 octobre 2023, la Cour d’appel de Versailles l’a déboutée et a confirmé le jugement de première instance, estimant que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse. Selon la Cour, la réitération des faits constituait un abus de la liberté d’expression et de manifestation des convictions religieuses, entravant l’exécution du contrat de travail et contrevenant aux principes énoncés dans le règlement intérieur.
La salariée s’est, par conséquent, pourvue en cassation.
La décision
Aux termes de l’article L. 1121-1 du Code du travail « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
En outre, l’article L. 1132-1 du même code dispose que « […] aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte […] ».
Enfin, L. 1132-4 du Code du travail prévoit que « Toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre ou du II de l'article 10-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique est nul. »
Par son arrêt du 10 septembre 2025 (Cass., Soc., 10 septembre 2025, n° 23-22.722), la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel.
La Cour considère que la salariée, agente de service et non-éducatrice, avait pris l'initiative de se déplacer à l'hôpital où la mineure avait été admise pour lui remettre une bible. Par conséquent, les faits reprochés par l'employeur étaient intervenus en dehors du temps et du lieu du travail de la salariée et ne relevaient pas de l'exercice de ses fonctions professionnelles.
Pour la Cour de cassation, le licenciement reposant sur des faits de la vie personnelle de la salariée et découlant de l'exercice de sa liberté religieuse, il constitue une discrimination et doit donc être considéré comme nul.
L'apport de la décision
L’assemblée plénière de la Cour de cassation a récemment rappelé qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (Cass., Soc. Ass., Plén., 22 décembre 2023, n° 21-11.330).
La décision du 10 septembre 2025 s’inscrit dans un courant jurisprudentiel tendant à restreindre les licenciements fondés sur des comportements relevant de la sphère privée.
Pour autant, la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle demeure parfois ténue, rendant l’analyse précise des circonstances d’autant plus déterminante.
Dans la présente décision, il ressort que :
La salariée était employée en tant qu’agente d’entretien, et non en qualité d’éducatrice, de sorte qu’il n’existait aucun lien fonctionnel entre elle et la jeune accompagnée par l’association.
La salariée s’est rendue à l’hôpital en dehors de son lieu et de son temps de travail, sans aucun lien avec l’exercice de ses fonctions professionnelles.
C’est en se fondant sur ces deux éléments que la Cour de cassation a pu aboutir à une telle décision.
Elle rappelle, par ailleurs, la protection accordée à la liberté religieuse lorsque celle-ci s’exerce en dehors du cadre professionnel, une protection consacrée notamment par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Cette décision s’inscrit également dans une tendance de renforcement de la lutte contre les discriminations religieuses, en qualifiant de discriminatoire un licenciement fondé sur des comportements relevant de la vie privée, même de nature prosélyte.
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