Les faits
Un salarié est engagé le 17 juillet 2000 par une société d’expertise comptable et de commissariat aux comptes en tant qu’assistant. Après avoir obtenu son diplôme d’expert comptable et de commissaire aux comptes, un nouveau contrat de travail est signé le 19 mai 2009, avec effet rétroactif au 5 janvier 2009.
Le 3 février 2011, le salarié alerte son employeur sur une situation de conflit d’intérêts, par courrier recommandé. Il lui précise qu’en l’absence de possibilité de discuter sur la situation, il n’aura d’autre choix que de saisir la compagnie régionale des commissaires aux comptes. Ce qu’il fait 1 mois plus tard, la veille de son entretien préalable au licenciement. Il est ensuite licencié pour faute grave, 4 jours après.
Le salarié porte son litige devant le Conseil de prud’hommes afin d’obtenir la nullité de son licenciement ou sans cause réelle et sérieuse, des dommages et intérêts, des indemnités de rupture et un rappel de primes.
Le 13 novembre 2019, la Cour d’appel de Paris considère, sur renvoi après cassation (Cass. soc., 3 oct 2018, n°16-23.075), que le licenciement du salarié doit être frappé de nullité pour violation d’une liberté fondamentale. Selon les juges, le salarié « pouvait légitimement dénoncer à des tiers (…) tout fait répréhensible dont il aurait eu connaissance dans le cadre de ses fonctions ».
D’autant plus que la lettre de licenciement reprochait expressément au salarié d’avoir menacé son employeur de saisir la compagnie régionale des commissaires aux comptes d’une situation prohibée par le code de déontologie de la profession.
La société forme un pourvoi, estimant :
Que la nullité du licenciement s’applique seulement aux dénonciations d’infractions pénales,
Que la menace e dénonciation du conflit d’intérêts constitue une fait l’objet d’une mesure de rétorsion illicite,
Que les juges n’ont pas retenu la mauvaise foi du salarié, pourtant soulevée par l’employeur.
La décision
Par un arrêt du 19 janvier 2022 (Cass. soc., 19 janv 2022, n°20-10.057), la Cour de cassation rejette le pourvoi de l’employeur. En effet, si le salarié signale des conduites ou actes illicites constatés sur son lieu de travail, qu’il relate ces faits de bonne foi, s’ils sont établis et de nature à caractériser des infractions pénales ou des manquements déontologiques prévues par la loi ou le règlement, le licenciement est frappé de nullité car il porte atteinte à la liberté d’expression du salarié. et considère que le licenciement du salarié doit être frappé de nullité en ce qu’il porte atteinte à sa liberté d’expression.
Tel était le cas en l’espèce, la bonne foi du salarié étant déduite du fait que « l’employeur ne soutenait pas que le salarié avait connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonçait ».
L’apport
Cette décision s’inscrit dans la cadre d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation sur la protection du lanceur d’alerte qui commence à s'étoffer (Soc. 4 nov. 2020, n°18-15.669 ; Soc. 8 juill. 2020, n°18-13.593 ; Soc. 7 juill. 2021, n°19-25.754 B).
Et ensuite?
Cette décision intervient également dans un contexte de protection renforcée des lanceurs d’alerte initiée par l’Union Européenne. En effet, le Parlement a définitivement adopté le 16 février dernier la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les lanceurs d’alertes, transposant la directive européenne 2019/1937 du 23 octobre 2019.*
La définition des lanceurs d’alerte sera élargie, et les mesures entraîneront des conséquences importantes, telles que :
La protection renforcée du lanceur d’alerte et de son entourage contre les discriminations et les représailles :
L’amélioration de la procédure de recueil des alertes dans les entreprises de plus de 50 salariés ;
La suppression du signalement interne préalable obligatoire ;
La suppression de la condition de la connaissance personnelle de l’information signalée obtenue dans le cadre professionnel ;
La mention du dispositif de protection des lanceurs d’alerte dans le règlement intérieur ;
La possibilité pour le Conseil de prud’hommes d’ordonner un abondement jusqu’à 8000 € du Compte Personnel de Formation (CPF) du lanceur d’alerte (à titre de mesures de soutien financier et psychologique).
*Celle-ci n’est toutefois pas encore promulguée et est actuellement étudiée par le Conseil Constitutionnel. Vous pouvez suivre son avancement => ici
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