Les faits
Moins d’un an après avoir signé un contrat de location longue durée d’un véhicule et un contrat d’adhésion au système « Le Cab » avec un chauffeur, la société Voxtur met fin aux relations contractuelles avec celui-ci.
Le chauffeur a saisi le Conseil de prud’hommes afin d’obtenir la requalification de cette relation contractuelle en contrat de travail. Il obtient gain de cause le 29 janvier 2020 (CA Paris, 29 janv. 2020, 17/13005) et la société Voxtur est condamnée à lui verser des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, procédure irrégulière, et travail dissimulé notamment.
La Cour d’appel a en effet requalifié le contrat de prestations de services en contrat de travail, car « le chauffeur réalisait des prestations dans le cadre d’un service organisé ». Selon elle, le lien de subordination est caractérisé par la mise en place d’un système de géolocalisation contrôlant de manière permanente l’activité du chauffeur. N’ayant pas le choix de son véhicule, le chauffeur est également placé en situation d’interdépendance de contrats, d’autant plus que le montant des courses n’est pas fixé par lui mais par la société Voxtur. Elle considère enfin que la société Voxtur détient un pouvoir de sanction en ce qu’elle peut rompre unilatéralement le contrat qui les lie selon les notations effectuées par les clients.
Placée en liquidation judiciaire, la société Yang-Ting désignée en qualité de liquidatrice forme un pourvoi en cassation de cette décision, en faisant valoir que la relation contractuelle remplit les conditions posées par l’article L. 8221-6 du Code du travail sur la présomption de non-salariat.
Selon elle, il n’y a pas de lien de subordination juridique permanente car, et comme le précise le contrat d’adhésion à la plateforme, :
« le chauffeur n’a aucune obligation d’utiliser l’application et reste libre de choisir ses jours et heures d’activité »,
« le chauffeur peut se déconnecter quand il le souhaite »,
« le chauffeur est libre d’effectuer des courses pour son propre compte ou pour le compte de toute autre personne physique ou morale »,
« l’organisation des courses attribuées par la plateforme relève du libre choix du chauffeur sauf à requérir une indication de la part du client » ,
« le chauffeur peut sous-traiter les courses à d’autre personnes sous réserve de justifier que ces dernières remplissent les conditions exigées par la réglementation pour exercer la profession de chauffeur VTC »,
Le système de géolocalisation de la plateforme n’est pas utilisé pour contrôler l’activité du chauffeur mais pour répondre à la demandes des clients,
Le chauffeur n’est pas tenu de louer le véhicule auprès de la société Voxtur,
La société Voxtur ne dispose pas de pouvoir de sanction car elle ne donne ni ordre ni directive aux chauffeurs VTC.
La décision
Le 13 avril 2022, (Cass. soc., 13 avril 2022, n°20-14.870, Publié au bulletin), la Chambre sociale de Cour de cassation estime, au visa de l’article L. 8221-6 du Code du travail, que « peut constituer un indice de subordination le travail au sein d’un service organisé lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution ».
La Cour de cassation rappelle la définition du lien de subordination Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Peut constituer un indice de subordination le travail au sein d’un service organisé lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution.
Il a été jugé que les motifs relevés par la Cour d’appel sont « insuffisant à caractériser l’exercice d’un travail au sein d’un service organisé ». Ainsi, il est nécessaire de vérifier si la société adresse « des directives au chauffeur sur les modalités d’exécution du travail, qu’elle disposait du pouvoir d’en contrôler le respect et d’’en sanctionner l’inobservation ».
L'arrêt rendu est donc cassé et annulé et les parties remisent dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée ;
Ici, le seul constat que la mission soit effectuée dans le cadre d’un service organisé n'est pas suffisant pour requalifier la relation en un contrat de travail.
L'on ne peut que noter (et déplorer?) que la Chambre sociale n'ait pas été plus loin dans son raisonnement, ainsi elle précise que "le chauffeur n’avait pas le libre choix de son véhicule, qu’il y avait interdépendance entre les contrats de location et d’adhésion à la plateforme, que le GPS permettait à la société de localiser, en temps réel, chaque véhicule connecté, de manière à procéder à une répartition optimisée et efficace des courses, en termes de temps de prise en charge de la personne à transporter et de trajet à effectuer, et d’assurer ainsi un contrôle permanent de l’activité du chauffeur, que la société fixait le montant des courses qu’elle facturait au nom et pour le compte du chauffeur, et qu’elle modifiait unilatéralement le prix des courses, à la hausse ou à la baisse en fonction des horaires. {...} la société disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du chauffeur, à travers le système de notation par les personnes transportées prévu à l’article 3 de son contrat d’adhésion." et vient faire le grief à la Cour d'appel d'avoir requalifié la situation, sans toutefois préciser ce qui est précisément attendu et/ou est jugé insuffisant, se rattachant au lien de subordination "traditionnel".
L’apport
Cette thématique du statut des livreurs et des chauffeurs VTC s’inscrit dans un débat mené au niveau européen, en ce que la Commission européenne a présenté en décembre dernier un projet de directive sur les conditions de travail offertes par les plateformes de livraison.
De la même manière, la législation française est actuellement en pleine modification depuis les dernières jurisprudence intervenues sur la question, avec la création d'un chapitre entier du Code du travail dédié aux travailleurs indépendants recourant, pour l'exercice de leur activité professionnelle, à une ou plusieurs plateformes de mise en relation par voie électronique définies à l'article 242 bis du code général des impôts. (cf. Article L7341-1 et suivants du Code du travail)
Cette décision, publiée au Bulletin, vient rappeler l'exigence des critères relatifs au lien de subordination, tout en laissant aux juges du fond la caractérisation de celui-ci.
Cet arrêt fait également écho à une décision rendue quelques jours plus tard par le Tribunal correctionnel de Paris, le 19 avril 2022, condamnant la société Deliveroo pour travail dissimulé et au versement d’une amende de 375 000 €. Le juge pénal a estimé pour sa part que la plateforme exerçait un pouvoir de direction sur ses livreurs indépendants (formation des livreurs, contrôles, sanctions…), et aurait dû les salarier entre 2015 et 2017.
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