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Les faits
Une surveillante de nuit est engagée le 1er décembre 2010 par l’association Fouque au sein d’une maison d’enfants à caractère social. Une alerte est effectuée sur des possibles agressions sexuelles auprès de la direction qui réalise une enquête interne et met en place des mesures. Elle procède avec un délégué syndical à un signalement auprès de l’inspection du travail qui effectue un contrôle au sein de l’établissement en juin 2018. Au cours de celui-ci, la salariée remet aux inspecteurs la copie d’un courriel adressé par l’équipe éducative aux responsables de l’association, dans lequel sont dénoncés les possibles agressions sexuelles commises par certains enfants sur d’autres. A la suite du contrôle, l’inspection du travail a adressé un courrier à l’employeur et informé le procureur de la République de faits lui paraissant mettre en danger les salariés et enfants confiés. Une première enquête, pour agression sexuelle sur mineurs est ouverte mais classée sans suite le 4 décembre 2018. Une seconde enquête pour dénonciation mensongère vise la salariée et le délégué syndical, mais elle est aussi classée sans suite car insuffisamment caractérisée.
La salariée est licenciée pour faute grave le 31 janvier 2019. L’entreprise mentionne entre autres, au sein de la lettre de licenciement, la mauvaise foi de la salariée qui caractérise une exécution déloyale du contrat de travail, un comportement visant à nuire l’employeur et des déclarations mensongères. Elle saisit la formation de référé du Conseil de prud’hommes de Marseille pour obtenir sa réintégration en qualité de lanceur d’alerte car elle estime avoir été licenciée en raison de la dénonciation aux manquements constatés au sein de l’établissement. La formation de référé du conseil de prud’hommes considère qu’il n’y a pas lieu a référé et renvoi les parties à mieux se pourvoir.
La salariée interjette appel de la décision. Le 4 juin 2021, la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence rend un arrêt dans lequel elle considère que le licenciement prononcé est nul et constitue un trouble manifestement illicite. Elle ordonne la réintégration immédiate de la salariée et condamne l’association à payer une indemnité d’éviction. L'arrêt constate que la salariée a agi de bonne foi, et que cette condition suffit à obtenir la protection du lanceur d’alerte. Les juges rappellent que "la mauvaise foi ne peut résulter que de la connaissance par la salariée de la fausseté des faits qu’elle dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis." En effet, si la salariée a dénoncé des faits d’agression sexuelle sans les avoir constatés elle-même, elle s’était appuyée sur des documents internes à l’entreprise et n’avait pas le moyen de savoir si les faits redoutés étaient ou non avérés.
L’association forme un pourvoi en cassation. L’employeur fait grief à la salariée de ne pas avoir respecté la procédure graduée de l’alerte. L’employeur avait indiqué à la salariée que les faits avaient été traités en interne mais elle a quand même procédé à la dénonciation en faisant état de documents internes.
Pour mémoire la saisine directe d’une autorité judiciaire ou administrative, est subordonné à soit à l’absence de réaction de l’employeur, soit à la preuve d’un danger grave et imminent ou d’un risque de dommages irréversibles.
La solution de la Cour de cassation
Dans un arrêt du 15 février 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’employeur au visa de l’alinéa 1 et 2 de l’article L.1132-3-3 du code du travail (rédaction issue de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016).
La Cour précise que « le salarié qui relate ou témoigne de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions n'est pas tenu de signaler l'alerte dans les conditions prévues par l'article 8 de cette loi organisant une procédure d'alerte graduée et, d'autre part, qu'il ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ».
Ainsi, elle suit le raisonnement de la cour d’appel qui « déduit que la protection de la salariée licenciée pour avoir dénoncé des faits susceptibles de constituer des agressions sexuelles, n’était conditionnée qu’à sa bonne foi, les conditions supplémentaires posées par les articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 […] n’étant pas exigées par l’alinéa 1er [de l’article L. 1132-3-3 du code du travail] » et considère que la salariée « n’avait aucun moyen de savoir si les faits […] étaient ou non avérés alors que les services de police avaient dû procéder pour cela à une enquête ». L’alerte était une mesure parfaitement proportionnée et ne portait pas atteinte à la réputation de l’établissement. Dès lors, elle valide le fait que « le licenciement constituait un trouble manifestement illicite».
La portée de l’arrêt
Par cet arrêt la Cour de cassation entend assurer l'effectivité de la protection du salarié lanceur d’alerte qui souhaite dénoncer des actes illicites auquel il est confronté. Le lanceur d’alerte n’est pas tenu de respecter la procédure d’alerte graduée en cas de dénonciation de faits constitutifs d’un crime et d’un délit, et il ne peut être licencié dès lors qu’il est de bonne foi. Le mauvaise foi ne peut par ailleurs résulter du seul fait que les faits dénoncés ne sont pas établis.
Bien qu’elle se positionne sur une décision de la Cour d’appel rendue en 2021, il est possible d’imaginer que la Cour de cassation a souhaité faire écho à la réforme des lanceurs d’alerte opérée depuis la loi Waserman n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte. En effet, depuis lors, le lanceur d’alerte peut choisir d’effectuer une alerte interne auprès de la direction ou choisir d’effectuer un signalement auprès d’une autorité externe compétence.
Cette décision et plus généralement la loi de 2022 sont les bienvenues car les critères de recevabilité pour être considéré comme lanceur d’alerte étaient très, voir trop exigeants. En raison de cela et des conséquences particulièrement lourdes qui pouvait résulter d’une alerte à savoir un licenciement, l’engagement de la responsabilité, des poursuite pénales etc., les lanceurs d’alerte étaient facilement dissuadés de révéler certains informations sensibles ou d’effectuer un signalement. L’enjeu est pourtant important en ce qui concerne la protection des droits, des libertés et de l’intégrité des personnes.
Le régime du lanceur d’alerte n’en est pas moins délicat car il faut trouver un juste équilibre entre faciliter la révélation de faits socialement nuisibles et protéger ceux qui les révèlent tout en maintenant des garanties suffisantes pour éviter les dérivés et préserver la réputation des personnes contre des alertes abusives. Les décisions jurisprudentielles ayant pour fondement la loi Waserman de 2022 sauront nous indiquer si ce juste équilibre a finalement été trouvé.
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